Contre le dictat de la peur
Déclaration de médecins au sujet de la crise du coronavirus
Le texte ci-dessous est la traduction d’une déclaration écrite par un collectif de médecins et soignants berlinois, praxiskollektiv reiche 121, publiée sur leur site internet en mars 2020 (dernière actualisation le 31/03/2020): https://www.praxiskollektiv.de/aufruf-gegen-die-angst Leur site donne également les références de plusieurs professionnels de la santé et scientifiques qui estiment différemment voire de manière opposée la situation actuelle, en comparaison du « worst-case-scenario», nourri par « la rhétorique de la guerre, la submersion de la population avec des chiffres épidémiologiques, qui sans comparaison avec les chiffres de la « situation normale» ont justement tendance à produire des visions apocalyptiques et surtout ceci: la propagation de la peur et de la panique».
Pour consulter ces références: https://www.praxiskollektiv.de/aktuelles-zur-coronakrise
En publiant leur texte, le collectif cherche essentiellement à contrebalancer la prépondérance de ce scénario en rendant accessible d’autres avis, considérés comme sérieux par le collectif, et à ouvrir ainsi le débat, quasi-inexistant car recouvert par le discours dominant, sur le virus et la situation. Non seulement la connaissance actuelle que l’on a du virus est encore faible – et le collectif reconnaît volontiers la nécessité de revoir ses hypothèses au fur et à mesure des avancées scientifiques avérées, nécessité qui dans une controverse concerne toujours les deux parties, précise-t-il –, mais il existe surtout un danger à côté de la dangerosité potentielle du virus qui rend nécessaire l’ouverture d’une discussion: celui lié aux mesures qui ont été rapidement mises en place.
Le collectif se dit soucieux de deux aspects en particulier: « Le danger potentiel conduit actuellement au mépris de règles démocratiques fondamentales, à un manque de transparence vis-à-vis de la discussion scientifique controversée et des actions politiques rapides. D’autre part, nous regrettons ardemment l’absence d’une discussion de fond, expressément nécessaire, sur la proportionnalité des mesures prises.»
Et au collectif d’ajouter: « Nous sommes d’avis que n’importe quel humain éclairé est tout à fait capable d’évaluer le danger et d’agir en conséquence. La difficulté là-dedans relève du grand degré d’incertitude, qui existe également chez les scientifiques. Ici aussi, il ne s’agit pas seulement de l’incertitude vis-à-vis du déroulement de la pandémie, mais également de l’incertitude vis-à-vis des effets directs et secondaires des mesures mises en place.»
Contre le dictat de la peur
1. Actuellement, ce n’est pas une vague de grippe mais une vague de peur et d’inquiétude que nous traitons dans notre cabinet. Notre téléphone sonne sans arrêt, nos emails sont plein de questions de la part de personnes en partie désespérées, qui ont peur d’avoir une maladie supposée mortelle parce qu’elles manifestent des symptômes légers de rhume. Notre équipe est surchargée. Nous sommes toutes et tous occupés en permanence à devoir décider qui doit faire le test de dépistage du Sars-Cov2. Il nous manque des masques pour pratiquer les prélèvements. Notre salle d’attente est relativement vide, les personnes souffrant de maladies graves et de maladies chroniques n’osent plus consulter.
2. Les spécialistes, les psychothérapeutes et les Heilmittelerbringer (praticiens et praticiennes de la santé pratiquant des médecines douces) doivent restreindre leur offre de diagnostics et de prises en charge. Le suivi diagnostique des maladies graves ne se pratique presque plus. Des services entiers d’hôpitaux et de cliniques de rééducation sont évacués, des patients et patientes de stations psychosomatiques, psychiatriques et psychothérapeutiques, de services prenant en charge les addictions, ou encore de services psychiatriques pour enfants et adolescents sont renvoyés chez eux à des soins ambulatoires insuffisants. Les consultations expressément nécessaires n’ont plus lieu dans la plupart des centres de consultation. On en arrive à une restriction massive des soins dans l’ensemble de l’appareil d’aide sans que l’on puisse en prévoir les conséquences pour l’instant.
3. Les personnes, en particulier les enfants et les personnes âgées, sont isolées par les recommandations et les règlements publiques dans leur appartement au sein de la métropole. La restriction des mouvements, le manque de lumière naturelle et la diminution de l’apport en air frais altèrent l’état du système immunitaire et, ce faisant, accroissent la prédisposition aux infections – cela est connu depuis Rudolf Virchow. L’immunologie neuropsychologique a exploré comment la peur, le stress et l’isolation sociale dégradent eux aussi le système immunitaire. Une augmentation de la violence physique, de l’abus d’alcool et des suicides est à craindre. Les conséquences sanitaires et sociales d’une isolation de millions de personnes poussée plusieurs semaines seront massives.
4. Il y a des vagues de grippe d’ampleurs différentes chaque année. Elles résultent de la propagation d’une pluralité de virus différents, mutant en permanence, avec une croissance exponentielle de contamination. Durant l’hiver 2017/2018, à l’occasion de la grippe saisonnière, les cabinets de médecins et les stations de soins intensifs étaient surchargés ; en Allemagne, 25000 personnes sont mortes de la grippe et de ses effets. Aucune attention particulière n’a été prêtée à cela dans la sphère publique, aucun grand évènement n’a été annulé. À présent, un seul virus se retrouve tout à coup au centre de l’attention et personne ne peut encore vraiment dire s’il s’avère réellement plus dangereux que les autres virus grippaux. Une société dans un état de peur et de hantise qui perçoit virtuellement et à travers les médias un danger potentiel pour la vie de certains, et qui ne cherche plus qu’à exercer davantage de contrôle dessus, devient obsessionnelle et malade. Le prix du dictat de la peur est l’asservissement.
5. Chaque jour, nous essayons par notre travail médical de réduire les risques sanitaires et, dans le meilleur des cas, de guérir des malades. La dispense de soins à des personnes vulnérables se heurte déjà en temps normal à la limite des ressources insuffisantes. La surcharge hivernale liée aux infections submerge chaque année les capacités existantes des secteurs de soins ambulatoires et stationnaires. Les systèmes de santé sont à l’échelle mondiale dans un état d’urgence quotidien à cause des réductions budgétaires et à l’influence croissante de l’économie sur la santé. Un équipement amélioré et une revalorisation des métiers de la médecine, une émancipation des contraintes économiques tout comme la critique des capacités de prise en charge médicale peuvent sauver la vie de milliers de personnes chaque jour.
6. Laissez-nous à nouveau faire notre travail de soignants normalement!
Nous revendiquons un arrêt des mesures qui entravent le système de santé!
Bouger et être en contact avec d’autres est indispensable à la santé humaine. Nous refusons l’atteinte actuelle et disproportionnée aux droits fondamentaux à la liberté! Plonger les gens dans l’isolement en leur faisant peur est inacceptable. Les personnes âgées devraient pouvoir décider elles-mêmes si et comment elles veulent participer à la vie sociale.
Nous avons besoin d’une discussion ouverte sur les questions de savoir quelle sorte de vie nous voulons mener et quelle valeur nous accordons à un système de santé qui fonctionne bien.
Contre le dictat de la peur, pour une vie autodéterminée en liberté et en raison!
Mars 2020